Willow Meadwood

Juliette Meadwood n’avait jamais eu à travailler. Et, même mariée, elle ne faisait pas exception, elle s’occupait uniquement de sa fille. Mais James Meadwood travaillait à l’ambassade française, jusqu’au jour où il fut muté en Angleterre. Le choix était alors simple. Juliette acceptait de rester isolée en France, ou choisissait de le suivre. Cela fut vite décidé. Deux mois plus tard, la famille Meadwood emménageait dans le Manoir dont avait hérité James à la mort de ses parents, en Angleterre. La petite Willow était alors âgée de 5 ans. Elle avait eu le temps de se faire à la France, mais avait encore tout à découvrir de l’Angleterre. Mais jamais ce pays pluvieux et gris ne remplacerait en elle le continent ensoleillé de son enfance et de sa famille. Pourtant, elle s’y plut, ou du moins cela ne lui déplut pas trop. Les pièces claires et lumineuses lui plaisaient, mais le silence qui régnait entre les murs l’effrayait. La bibliothèque immense était pour elle un paradis, mais qu’elle soit aussi éloignée de sa chambre, lui faisant traverser les couloirs noirs, était une source de terreur pour la petite fille de 5 ans qu’elle était. Et tout ici en Angleterre était comme ça, à la fois blanc et noir, bien et mal, agréable et détestable. Parfois, en se levant le matin, elle voulait retourner en France, et parfois elle trouvait que l’Angleterre n’était pas si mal.

Non loin de chez eux, à quelques minutes de route, habitait une famille de sorciers avec qui sa mère s’était liée d’amitié, ayant pris l’habitude de se promener avec sa fille dans la forêt avoisinante. Un jour, alors qu’elles faisaient une promenade, elles rencontrèrent un petit garçon qui jouait un bâton qui ressemblait à une baguette, mais qui restait un jouet pour les enfants. Willow fut laissée avec lui tandis que Juliette allait rendre visite à son amie.

Ce fut le début du cauchemar.

Gilderoy, car tel était le nom du garçon, la prit tout de suite en grippe. Sans qu’elle ne sache pourquoi, il se mit constamment à se moquer d’elle, la traitant de laide, d’ennuyante. Il ne la détestait pas, bien sûr, mais trouvait amusant de se sentir supérieur vis à vis d’une fille, qui plus est une fille plus jeune que lui, ne serait-ce que d’un an. Il leur arrivait de pouvoir rester un après midi à jouer ensemble, car ils restaient avant tout des enfants, mais cela se finissait quasiment toujours par une moquerie de Gilderoy. Au début, elle n’y prit pas garde, elle se disait qu’il faisait ça parce qu’il ne la connaissait pas encore, mais au fur et à mesure qu’il continuait, elle se mit à penser qu’il disait cela parce qu’elle était vraiment comme ça. Pourtant, elle l’aimait bien, et continuait de le voir. Il pouvait être tellement gentil, quand il le voulait bien. Mais il fallait également accepter le revers de la médaille.

Inévitablement, sa confiance en elle se brisa.

Elle se mit à l’éviter, jusqu’au jour où elle reçut sa lettre de Poudlard. Sa mère aurait voulu l’envoyer à Beaubâtons, mais avait finalement accepté de la mettre là où son mari avait fait ses propres études.

Elle n’avait pas dit à ses parents à quel point il était odieux envers elle, ce qui fait qu’ils ne comprenaient pas pourquoi elle l’évitait autant mais ils respectaient son choix. Et elle entra à Poudlard.





Elle ne le détestait pas. Pas encore. Elle se contentait d’essayer de l’éviter le plus possible, comme si elle avait honte d’elle-même. Elle avait fini par croire à ce qu’il lui disait sans cesse, se croyait laide, ennuyante, et de faire restait toujours en arrière, sans jamais oser s’approcher des autres. Après tout, n’était-elle pas détestable à fréquenter ? Elle conçut un goût prononcé pour la solitude, préférant le calme de la bibliothèque aux cris et aux rires d’une « bande ». Elle avait quelques amies, avec qui elle parlait et passait un peu de temps, mais sans plus, elle était de nature rêveuse et cette situation ne fit qu’empirer cette tendance à préférer se perdre dans ses rêves. Elle passait le moindre de son temps libre dans les études, décochant des notes excellentes, et y trouvant même du plaisir. Quand elle travaillait, elle ne réfléchissait pas, et cela lui permettait de se sentir au moins fière de quelque chose qu’elle faisait. Pourtant, elle n’avait rien dont elle devait avoir honte, mais Gilderoy avait réussit à lui rentrer ça dans la tête, dans sa petite tête d’enfant qui est encore influençable. Croyant cela, elle ne faisait aucun effort pour se rendre agréable à regarder, sans pour autant arriver complètement débraillée. Elle était « comme il faut », dans toutes les occasions, pouvait même paraître un tantinet coincée, mais elle s’en moquait. Pourtant, il semblait réellement s’amuser avec elle, et il lui fallait déployer pourquoi d’effort pour qu’il ne la retrouver pas et continue ses airs supérieurs et ses moqueries. Elle brûlait d’envie de lui dire une bonne fois pour toutes ses quatre vérités, mais elle savait pertinemment que cela ne ferait qu’empirer les choses. Elle avait encore l’espoir secret qu’il finirait par se lasser. Et elle continuait à ne pas le détester. Elle avait encore en mémoire les bons moments qu’ils avaient pu passer enfants, c’était plus fort qu’elle.

Jusqu’à ce jour.

En troisième année, un samedi, elle revenait d’une matinée à la bibliothèque, comme à son habitude, et se préparait à aller manger. Seulement, elle était un peu en retard, et s’était mis à courir à travers les couloirs. Malheureusement, en tournant, elle glissa et tomba violemment sur le sol. Fort heureusement pour elle, sa chute fut amortie par ses bras et son sac, et elle ne fut pas trop sonnée. Une main se tendit alors devant elle, et en levant les yeux elle aperçut avec horreur le visage de celui qu’elle tenait toujours d’éviter, accompagné de ses amis, manifestement revenus du repas à la Grande Salle.



Elle repoussa sa main, sentant désagréablement le regard des trois garçons sur elle.



Il haussa les épaules en souriant.



Il avait ça toujours avec son sourire tranquille, sans qu’aucune émotion ne traverse son visage. Mais elle s’était sentie glacée à l’intérieur. Et elle avait craqué. La gifle était partie avant même qu’elle ne puisse esquisser un geste pour la retenir. De toute façon, elle n’en avait pas envie. Elle se moquait des conséquences, de la tranquillité qu’elle avait toujours voulue et pour laquelle elle avait accepté de faire tête basse. Elle ramassa son sac et donna un violent coup d’épaule au jeune homme en partant. Mais il eut le temps d’entendre ces quelques mots : « Ce n’est pas fini ».

La haine vint. Enfin. Elle aura mis le temps. Elle avait toujours essayé de lui trouver des excuses, mais désormais c’était fini. Elle n’était pas de nature violente. Elle voulait toujours autant l’éviter et ne plus avoir affaire à lui. Mais elle allait lui montrer de quoi elle était capable. Et elle le fit. Lorsqu’elle revint au dortoir, elle attrapa un morceau de parchemin et écrivit à ses parents. Puis à sa cousine française. Elle irait passer les vacances en France.

Lorsqu’elle revint, il serait utopique de dire qu’elle avait tellement changé que les magazines de mode sorcière voudraient l’embaucher comme mannequin. Mais côtoyer sa cousine, s’éloigner du continent anglais tout ceci lui avait fait du bien. Elle avait appris à s’amuser. A s’habiller. Et avait repris confiance en elle en sentant les regards masculins sur elle. Mais c’était en France. C’était chez sa famille. Allait-elle réagir de la même façon à Poudlard ?





L’effet du sort avait été immédiat. Si elle avait eu des amis, nul doute qu’elle les aurait complètement oubliés. Mais de vagues connaissances de maison et de cours n’étaient pas des amitiés assez profondes pour que l’on s’en souvienne aisément, et l’état actuel des choses faisait qu’elle les connaissait tout autant avant et après le sortilège. Dans un certain sens, elle devait avouer que c’était assez pratique. Aucun regret, et même ceux qui s’étaient souvent moqués d’elle ne se souvenaient pas de sa personne, elle était donc relativement tranquille. Elle regardait ce monde qui l’entourait d’un autre œil, comme si elle découvrait pour la première fois. Les gens n’offraient vers elle qu’un visage inconnu, elle ne pouvait mettre de noms sur leurs visages. Pourtant, elle sentait quelque chose gronder en elle, comme si quelque chose essayait de sortir contre son gré. Mais elle se contint. Cela ne pouvait pas être important, face à la situation actuelle. Willow avait alors soupiré, redressé ses fines épaules, et était partie dans le couloir afin de retourner à son dortoir.

Personne ne se saluait entre ces murs, tout le monde se jaugeait, tentant de deviner s’il avait été proche de telle ou telle personne. En vain. La mémoire est quelque chose qui nous paraît si simple, lorsque nous l’utilisons, et qui pourtant se révèle une incroyable machine impossible à contrôler. Surtout lorsque la magie s’y mettait aussi. Elle se perdit dans ses pensées, comme d’habitude, comme avant. Elle se moquait de toutes ces personnes, ne leur accordait pas la moindre attention. Ils n’avaient jamais rien été pour elle, et ne seraient jamais plus. Elle était préoccupée par cet étrange sentiment qui grondait en elle. Quelque chose cherchait à s’introduire dans son esprit, sans qu’elle ne sache comment. Et cela la frustrait.

Et, sans qu’elle ne s’en rende compte, elle était au sol, propulsée brutalement par une masse musculaire beaucoup plus importante que la sienne. Cela dit, il ne fallait pas beaucoup pour en arriver à ce résultat.



Crétin. Peut-être le connaissait-elle avant, qui sait. Il n’avait pas été assez important pour qu’elle s’en souvienne, de toute façon, surtout après le passage du sortilège. Elle croisa alors son regard, et sa gorge frémit. Son cœur battit très fort, et elle ne comprit pas pourquoi. Il lui tendit une main pour l’aider à se relever. Alors qu’elle allait la saisir, ses bras bougèrent tous seuls, et repoussèrent avec violence cette aide offerte. Willow en fut la première surprise. Elle avait comme l’impression que son corps bougeait tout seul, qu’il avait une volonté propre, suivant quelque chose de très précis qu’elle ignorait en cet instant. Elle croisa le regard du garçon, de nouveau. Et, de nouveau, son estomac se tordit, sa tête lui fit mal. Elle prit le visage entre ses mains, et le garçon ne put s’empêcher de s’inquiéter.



Les mots avaient fusés sans qu’elle ne puisse s’en empêcher. De nouveau, elle ne comprenait pas. Son corps tout entier semblait réagir de lui-même. Mais que se passait-il, bon sang ? Elle se releva aussitôt, ne voulant pas prendre le risque que cela ne s’envenime davantage contre son gré.



Alors qu’elle allait partir, un garçon interpella celui qui l’avait bousculée.



Il allait se tourner de nouveau vers cette fille, mais elle avait déjà disparue. Il se rendit au repas en ayant son image en tête. Faisait-elle partie de ses relations passées pour qu’elle semble le détester autant ? Impossible, elle ne se souviendrait jamais de lui, après le sortilège.

Dans l’angle du mur, non loin de là, une ombre se découpait. La respiration haletante, Willow tentait de calmer les battements de son cœur, et cette détestable sensation amère qu’elle avait presque oubliée se fit de nouveau ressentir, comme avant. Comme avant. Cette simple expression était risible. Il ne pouvait y avoir de « comme avant », avec ce sortilège. Et pourtant.

Gilderoy Lockart.